Vous trouverez sur cette page les bases théoriques pour la prévention de conflits sérieux, mais aussi pour la gestion de conflits et de litiges existants. Soit une définition du conflit, des règles pour une saine culture de la discussion, les niveaux de l’escalade d’un conflit, ainsi que des modèles connus de gestion des conflits.

Cette page veut aider à approfondir la connaissance de ce qu’est un conflit et peut servir de document de référence dans une consultation. Elle peut également être utile dans la pratique, car les ressources qu’elle contient permettent d’améliorer la compréhension des conflits et la capacité à les gérer au quotidien.

Toutes les explications de ce chapitre sont basées sur le travail fondamental de Friedrich Glasl : “Konfliktmanagement, ein Handbuch für Führungskräfte, Beraterinnen und Berater”, Stuttgart 2013.

Pour mieux comprendre ce qui suit, il est utile de définir ce que l’on entend par un conflit et par une crise.

Définition du conflit

De manière générale, on parle de conflit lorsque des intérêts, des buts ou des valeurs d’individus, de groupes sociaux, d’organisations ou d’États sont inconciliables ou semblent l’être.

Un conflit social survient entre des groupes de personnes lorsqu’un des groupes au moins perçoit des différences avec les autres concernant la manière de penser, les idées, l’interprétation de faits, les sentiments et/ou les intentions – et des différences telles que ce groupe est empêché à cause de cela de réaliser ce qu’il pense, ressent ou veut.

Une divergence d’opinion n’est pas encore un conflit. Tout dépend de la manière dont les protagonistes la ressentent et la gèrent.

Définition de la crise

Une crise est une situation qu’un individu ou un groupe social (famille, entreprise, organisation, État, etc.) perçoit comme une menace pour son existence et qui nécessite donc la prise rapide de décisions et de mesures. La crise est exacerbée par le fait que les décideurs ne disposent souvent que d’informations incomplètes ou déformées et que les mesures choisies ont des conséquences drastiques sur l’existence des individus concernés ou la pérennité des systèmes sociaux concernés.

Là où règne une bonne culture du conflit, il est rare qu’un conflit destructeur survienne réellement.

Tous ne supportent pas le même degré d’ouverture. C’est pourquoi les associés doivent clarifier où se situent leurs limites personnelles. Qu’est-ce qui appartient à la communauté, qu’est-ce qui relève de la vie privée ? Quelles informations peuvent être divulguées au public, lesquelles non ? Comment communiquer un message négatif à son partenaire de sorte qu’il puisse l’accepter? Est-on prêt à entrer en matière sérieusement par rapport à des critiques.

Quelques règles fondamentales pour bien communiquer:

  • Formulation de ce que l’on veut exprimer en messages “JE” affirmatifs:
    Parler toujours en partant de soi – “je trouve que …”, “je me sens …”,  “je ne comprends pas …”, ” je suis …”, “j’aimerais que …”.
    Si possible en lien avec une situation concrète – la situation d’hier à l’étable, le sentiment de malaise concernant les revenus, les souhaits pour la prochaine saison des récoltes, etc.
  • Franchise, souci et véracité et volonté sincère de comprendre l’autre sont des conditions préalables pour une discussion fructueuse.
    S’abstenir d’insulter, d’accuser, de menacer, de se moquer, d’ironiser, de mentir, de bloquer la discussion, de détourner l’attention, d’éluder, etc.
  • Écoute attentive, active et empreinte de respect:
    Faire face à la personne qui parle sans l’interrompre, enregistrer ce qui est dit. Répéter et demander si l’on a bien compris (« Ai-je bien compris que… ? »)
    L’acceptation de façade, l’ignorance, le blocage intérieur, l’esquive, la préparation de sa propre défense ne sont pas des formes d’écoute.

Exemples de formulations pour étayer la discussion:

Dire « Comme toujours, tu es en retard ! » bloque la discussion et ne fait que durcir les fronts.

Mieux vaut évoquer le cas concret:
« Tu es arrivé avec un retard de 15 minutes à notre réunion d’aujourd’hui »

Au lieu de rouspéter, parler du sentiment que le retard provoque, décrire ce que l’on ressent lorsque cela arrive:
« J’ai eu peur qu’il te soit arrivé quelque chose. »

Mais aussi exprimer ses propres besoins:
« J’ai moi aussi beaucoup à faire et j’aimerais qu’on puisse commencer à l’heure ».

On peut finalement émettre des souhaits et proposer des solutions pour le cas concret:
« Peux-tu s.t.p. m’appeler la prochaine que tu es en retard ? »

Facteurs dynamisants de l’escalade

Lorsqu’une petite tension entre parties dégénère en une confrontation qui les met en péril psychiquement ou physiquement – un processus d’escalade marqué par plusieurs mécanismes et facteurs importants:


Mécanismes de projection

Lorsqu’une personne se sent menacée, elle sera plus encline à penser que quelqu’un lui veut du mal. Les parties à un conflit tendent à se dénigrer et à se stéréotypiser mutuellement. Elles projettent sur l’adversaire les défauts quelles reconnaissent chez elles-mêmes et qu’elles renient. Avec la détérioration de la communication, ces mécanismes de projection se renforcent et deviennent difficiles à corriger.

Extension et simplification

Consciemment ou inconsciemment, les parties alimentent le conflit avec de nouveaux points litigieux. Elles le font pour déplacer le conflit vers d’autres zones ou pour consolider leur propre position. Ou encore parce que, sur le plan émotionnel, l’opposition sur un point s’étend à d’autres et déteint sur eux. Les points litigieux font boule de neige et le conflit gagne en complexité.

Dans le même temps, la capacité à gérer cette complexité diminue, la réceptivité se réduit, une « myopie cognitive » s’installe. Comme la complexité croissante entraîne une tension toujours plus grande, on tend à simplifier le problème. Or, cela ne fait qu’ajouter de nouveaux éléments de tension s’ajoutent.

Complexité sociale croissante et personnification

Fréquemment, un conflit présente le risque de s’étendre à un nombre croissant de personnes. L’incident microsocial initial finit par atteindre une dimension macrosociale – c’est la « contagion sociale ». Les parties deviennent toujours plus grandes et plus opaques, et il devient toujours plus difficile de rencontrer les personnes elles-mêmes. Toutefois, paradoxalement, la personnification du conflit augmente également. La critique se concentre sur des personnes précises, avec des réflexions du genre « lorsque nous serons enfin débarrassés de M. X, tout ira bien, car c’est lui le problème ». On se berce de l’illusion que l’organisation pourra à nouveau fonctionner normalement, même si tout le personnel a peut-être déjà été entraîné dans le conflit.

Anticipation pessimiste

Une fois que la méfiance mutuelle s’est installée, les « belligérants » n’attendent plus rien de bon les uns des autres. Ils se préparent à être attaqués à l’improviste. Forts de cette conviction, ils s’attendent au « pire du pire » et se préparent à y faire face. L’escalade du conflit augmente en flèche. Parce que chacun veut devancer l’autre.

Escalade par niveaux

9 niveaux de l’escalade du conflit

Vue d’ensemble des 9 niveaux de l’escalade du conflit avec leurs caractéristiques

Un conflit ne s’intensifie pas d’un coup, sans que l’on s’en aperçoive, mais par niveaux. À chaque niveau, d’autres comportements sont attendus et acceptés. Dans la pratique, les parties au conflit se souviennent généralement très bien des passages d’un niveau d’escalade à un autre. Ce sont des « tournants », des « points de rupture », qui marquent un seuil. Arrivés à ce seuil, les parties pourraient en principe reprendre leurs esprits et se demander s’il ne vaudrait pas mieux de mettre fin au conflit plutôt que de le laisser s’aggraver encore. Chaque niveau d’escalade présente un certain nombre de caractéristiques qui sont interdépendantes et ont un schéma cohérent. Des tentatives infructueuses de trouver une solution contribuent souvent, involontairement, à aggraver les tensions. Néanmoins, chacun s’efforce encore de travailler avec l’adversaire pour gérer le conflit.

L’escalade connait trois grandes phases (I, II et III) subdivisées chacune en trois niveaux.

Phase principale I:

Aux trois premiers niveaux, il en va du rapport entre coopération et concurrence.

Niveau 1: durcissement

Dans la discussion, les points de vue se durcissent et se « cristallisent ». Les parties au conflit se ferment vis-à-vis de l’extérieur et se figent dans leur posture. Elles oscillent entre attitudes coopératives et compétitives et deviennent de plus en plus partiales et tendues. La discussion est temporairement interrompue, puis chaque partie essaie à nouveau de la reprendre.

La communication souffre du fait que chaque partie adopte une écoute très sélective et filtre sa perception. On en arrive pour une courte durée à une cristallisation des rôles. Les parties essaient néanmoins de poursuivre la discussion dans l’optique de résoudre le problème, même si c’est de manière crispée.

Niveau 2: débat et polémique

Avant le conflit, les différences de points de vue des protagonistes stimulaient et enrichissaient la collaboration, alimentaient les discussions de manière naturelle. Maintenant, elles se polarisent et se figent dans les extrêmes aux niveaux des pensées, des perceptions et des intentions, s’excluant mutuellement. Chaque partie parle sa propre langue et ne peut plus écouter l’autre objectivement. Le débat est mené avec des tactiques pseudo-rationnelles: on utilise des arguments pour frapper l’adversaire dans ses émotions et le ridiculiser. La discussion n’est plus animée ni créative, mais devient mécanique, un jeu de pingpong intellectuel – argument, contre-argument, contre contre-argument, etc.- qui pourrait durer indéfiniment. Chaque partie veut montrer à l’autre sa supériorité intellectuelle. Cela conduit à de nombreuses formes de « frime », qui à leur tour augmentent la tension. Les modèles explicatifs de l’analyse transactionnelle (E. Berne 1964) offrent de bons outils pour cette phase du conflit.

L’alternance constante entre coopération et concurrence ajoute à la confusion des parties.

Niveau 3: passage de la parole à l’action

Les parties ne peuvent plus s’entendre et se convaincre mutuellement avec des mots. Elles agissent désormais comme elles jugent bon et mettent l’autre devant le fait accompli. Chaque partie observe les actes de l’adversaire et les interprète avec suspicion et méfiance. En raison du décalage entre le comportement verbal et le comportement non verbal, l’incompréhension et la méfiance mutuelles augmentent. Les parties forment des groupes fermés. Elles ne peuvent plus s’identifier à ce qui se passe chez l’autre. L’empathie est complètement perdue et l’on ne se soucie plus guère de ce que l’autre pense et ressent. Au sein de chacun des groupes, la pression au conformisme augmente et il se crée un fort sentiment d’unité.

Phase principale II:

Dans les trois étapes suivantes, des facteurs subjectifs prennent progressivement le pas sur les facteurs objectifs. Pendant cette phase, des mécanismes de prophétie autoréalisatrice montent en force. La distance psychologique entre protagonistes augmente considérablement. À ce stade, les parties pensent qu’elles ne peuvent plus résoudre le conflit entre elles – une aide extérieure est généralement inévitable. Pour elles, il n’y a plus qu’une seule attitude possible « gagner ou perdre » avec rien entre deux.

Niveau 4: stéréotypes et coalitions

Chaque partie se fait une image très positive de son propre camp et une image très négative du camp adverse (l’adversaire sait moins, est moins capable, vaut moins). Ces images se fixent et ne sont plus corrigées : quoique fasse l’adversaire, on ne voit que ses propres préjugés confirmés. Des préjugés qui résultent en grande partie de projections. On voit chez l’autre avant tout les traits négatifs qui nous agacent inconsciemment chez nous-mêmes – pour reprendre un adage connu, on préfère voir la paille dans l’œil du voisin plutôt que la poutre dans son propre œil. Les parties tentent également, chacune de leur côté, d’impliquer l’entourage et de recruter des partisans qui partagent la propre vision. Elles s’acculent réciproquement dans des rôles extrêmes et se battent précisément dans ces rôles. On reconnaît les mécanismes de la « double contrainte » et de la « boucle paradoxale » décrits en 1968 par P. Watzlawick/J. Beavin/D. Jackson. On fait de l’autre son bouc émissaire pour pouvoir le battre, mais on ne doit pas le perdre ni l’anéantir, parce qu’on en a besoin, justement, comme bouc émissaire.

Niveau 5: atteinte à la réputation et perte de face

Les parties s’attaquent maintenant aussi à la « face » de l’autre, c.-à-d. à l’intégrité morale de l’adversaire. Elles se « démasquent » mutuellement. Chaque partie ne reconnaît plus chez l’autre que son double négatif, personnifiant le soi négatif, et non plus le JE meilleur et plus élevé. L’Ange et le Démon s’affrontent. Des rituels passionnés de rejet sont mis en scène (voir surtout E. Goffman 1955, H. Garfinkel 1974) : chaque partie estime qu’il est de son devoir sacré de condamner l’autre partie comme la personnification du mal. Et chaque partie ainsi réprouvée est socialement isolée et s’emmure dans l’apitoiement sur soi. Elle se lance dents serrées dans la lutte pour sa réhabilitation, parce que la foi en sa propre intégrité a été profondément ébranlée.

Niveau 6: menaces

Les parties veulent se forcer mutuellement à céder et formulent des revendications. Si ces revendications ne sont pas satisfaites, on brandit la menace d’une action ou d’une sanction qui causera de sérieux dommages. On entend ainsi impressionner l’adversaire. Pour que la menace soit prise au sérieux, il faut que l’action/la sanction soit déjà partiellement réalisée.

Chaque partie essaie d’accroître la pression sur l’ennemi en s’engageant elle-même publiquement dans la menace : Si JE ne …, je veux bien être pendu ! » De cette façon, elle ne peut plus revenir en arrière, même si elle se rend compte par la suite que la réalisation de la menace ne lui rapporte rien, voire lui nuit. D’ultimatum en contre-ultimatum, un sentiment d’urgence croît et l’onde de choc de la menace s’étend. Un nombre croissant de partenaires de la coalition sont impliqués dans la bataille. Le conflit ne cesse de se propager et devient difficile à contenir parce que les parties tendent à « surréagir ». L’anticipation pessimiste augmente considérablement le stress.

Phase principale III:

Les étapes 4 à 6 de l’escalade marquent une formidable radicalisation du conflit. Désormais, les parties se traitent mutuellement comme des objets et se servent principalement de paramètres quantitatifs pour évaluer la situation. Chacune des parties a abandonné sa foi en la dignité humaine de l’autre. Dans les dernières étapes, elles comprennent qu’il n’y a plus rien à gagner – une lutte perdant-perdant est engagée

Niveau 7: frappes (limitées) de destruction

Les menaces déclenchent des actes qui visent à empêcher leur mise à exécution. On se contente d’abord de détruire les moyens avec lesquels la menace pourrait être exécutée. Il n’y a plus rien à gagner. Mais si l’ennemi subit plus de dommages que nous, c’est tout bénéfice pour nous. Le malheur de l’autre devient jouissance. L’ennemi se voit contraint de sacrifier des biens, le mensonge devient une «vertu de guerre», des valeurs morales sont transformées en leur contraire.

Niveau 8: destruction de l’autre

Si les parties au conflit sont des groupes ou des organisations, on s’attaque aux organes vitaux de l’adversaire et on les rend inutilisables. Les liens entre les attaquants et l’arrière-garde sont coupés. En sapant la cohésion interne et en paralysant des fonctions importantes, on frappe la partie adverse qui se désintègre mentalement, émotionnellement et physiquement à un point tel qu’elle ne peut plus se régénérer.

Niveau 9: ensemble dans l’abîme

Les ennemis ne voient plus de retour en arrière possible. C’est la guerre totale, visant l’anéantissement final de l’adversaire. Les parties sont prêtes à aller jusqu’au bout, même au prix de l’autodestruction. Dans leur chute, elles connaissent un dernier triomphe, celui de voir l’adversaire tomber avec elles dans l’abîme.

Les forces à l’œuvre dans l’escalade d’un conflit

Pris dans l’escalade d’un conflit, l’être humain peut libérer et mobiliser des forces inhumaines et inconscientes. Lorsque ces forces ont un impact social, elles menacent de nous entraîner plus loin. Cela dit, les conflits ne doivent pas forcément s’intensifier du premier au dernier niveau. Les parties peuvent s’arrêter au seuil de chaque niveau et choisir de ne pas laisser le conflit s’envenimer si elles le veulent vraiment. Si elles ignorent les signaux de leur conscience et se laissent entièrement dominer par leurs pulsions et passions, le processus de destruction ira en s’amplifiant.

Inconsciemment, les êtres humains ont un pouvoir de nocivité qui les rend capables d’accomplir des actes monstrueux et inhumains. Dans un conflit, ce potentiel est exacerbé. En temps de guerre, il peut être mobilisé délibérément avec des actions de « guerre psychologique ». En cas de conflit, les individus descendent dans les régions les plus profondes de l’enfer, le monde souterrain, tel qu’il est souvent décrit de façon imagée dans les mythologies.

Dans la gestion des conflits, le diagnostic correct du niveau d’escalade est primordial pour la prise immédiate des bonnes mesures, le choix du bon rôle et de la bonne stratégie. à chaque niveau d’escalade, d’autres interventions seront efficaces. Et à chaque niveau, la partie tierce aura affaire à d’autres difficultés et opportunités.

En cas de conflit majeur ou chronique, les mesures suivantes peuvent être prises en fonction du niveau d’escalade :

1. La confiance et la communication sont encore intactes au sein de la communauté:
Organiser une discussion entre personnes concernées. Prévoir suffisamment de temps dans un lieu où l’on n’est pas dérangé. Pendant la discussion, être particulièrement attentif à une culture de communication franche et loyale. Vérifier l’adéquation des mesures prises, le cas échéant, lors d’une période d’essai, analyser leurs effets et les adapter si nécessaire.

2. La confiance et la communication sont entamées, mais fonctionnent encore plus ou moins:
Organiser une discussion entre tous les associés pour régler le problème à l’interne si possible. Pendant la discussion, être particulièrement attentif à une culture de communication franche et loyale. Convenir à l’avance des objectifs de la réunion et consigner les résultats. Vérifier l’adéquation des mesures prises, le cas échéant, lors d’une période d’essai, analyser leurs effets et les adapter si nécessaire.

3. La confiance a souffert et une communication ouverte n’est plus assurée:
Solliciter un soutien professionnel (médiation, coaching, arbitrage) pour la résolution du conflit et obtenir pour cela l’accord explicite de tous les associés. Clarifier avec l’expert externe les objectifs de la consultation et convenir d’un calendrier et d’un budget. Participer de manière constructive au programme proposé par l’expert et s’employer avec sérieux à la mise en œuvre les mesures décidées.

4. La confiance est rompue et la communication ouverte ne fonctionne plus:
Examiner d’abord à l’aide d’un coaching ou d’une médiation si la communauté a encore une chance de survie. Si oui, procéder comme au point 3. Si non, ne pas hésiter à envisager la sortie d’un associé ou la dissolution de la communauté. Faire appel impérativement à un professionnel, car dans les deux cas de figure, une communication ouverte et franche est plus que jamais cruciale. Le plus souvent, il faut le soutien d’un modérateur/coach et d’un fiduciaire/conseiller d’entreprise. L’investissement en vaut la peine dans tous les cas. En effet, une fin chaotique et litigieuse qui s’éternise coûtera non seulement beaucoup plus cher, mais laissera aussi de profondes blessures.

En cas de dissolution, suivre le programme proposé par l’expert de manière constructive et mettre en œuvre les mesures et les tâches décidées diligemment et avec sérieux. Si la dissolution est menée correctement et rapidement, les ex-associés pourront se remettre sur pied beaucoup plus rapidement et reconstruire leur avenir sans encombre.

La boussole des indicateurs pour la gestion de conflits 

Des approches de gestion des conflits peuvent être adaptées aux conditions-cadre de la situation conflictuelle à l’aide des indicateurs suivants:

  1. Le niveau actuel de l’escalade du conflit: à quel niveau de l’escalade se trouve-t-on ? à 4.3.2
  2. Le type de conflit: le conflit se joue-t-il à une échelle micro, méso ou macro? S’agit-il de frictions, d’une lutte de pouvoir ou d’un conflit concernant un changement de système? Le conflit est-il «chaud» ou «froid»?
  3. Les conditions-cadre: quel type de résolution du conflit est-il indiqué ou exclu d’emblée?
  4. Les conditions contextuelles (culturelles, historiques, juridiques, économiques): le contexte culturel entrave-t-il éventuellement la mise en œuvre de tel ou tel type de résolution du conflit?

Boussole des indicateurs pour la gestion de conflits (selon Friedrich Glasl)

Afin de pouvoir prendre une décision avisée sur la manière de procéder en cas de conflit, on commencera par dégager la « direction » générale du conflit, puis on établira un diagnostic professionnel précis de la situation conflictuelle. Les quatre directions de la boussole des indicateurs et leurs conséquences respectives pour la stratégie d’intervention forment les points clés du diagnostic. Le choix des rôles dans la gestion des conflits est expliqué ci-dessous (on trouvera des explications plus détaillées dans l’ouvrage mentionné de Friedrich Glasl: Konfliktmanagement, Ein Handbuch für Führungskräfte, Beraterinnen und Berater1).

Niveau actuel de l’escalade

Lorsqu’un conflit a tellement gagné en intensité que la confiance entre les parties impliquées est rompue, une autre approche s’impose que si les relations mutuelles ne sont que légèrement affectées. Les stratégies d’intervention à mettre en œuvre en cas de conflits de forte intensité seraient trop lourdes pour gérer des conflits de faible intensité et donc inutiles. À l’inverse, il serait absurde d’appliquer des méthodes prévues pour régler des conflits légers à des conflits de grande intensité.

Il importe donc d’évaluer correctement le niveau d’escalade du conflit pour pouvoir le gérer de manière professionnelle. Le modèle des neuf niveaux d’escalade, qui montre comment les conflits s’intensifient et s’étendent, est une aide utile. La présentation détaillée des niveaux et de leur dynamique interne suit au chap. 4.4 « Dynamique de l’escalade des conflits ».

Le travail pratique avec le modèle présuppose que l’on soit capable de reconnaître et de comprendre les manifestations caractéristiques (symptômes) des différents niveaux et leurs interactions (syndromes).

Pour des conflits des niveaux d’escalade 1 à 3, on appliquera avec succès des méthodes qui demandent aux parties d’apporter leur propre contribution. Elles sont ainsi encouragées à s’ouvrir aux revendications de la partie adverse, à proposer leurs idées de solutions et à partager la responsabilité quant à l’utilisation de certaines méthodes.

Cependant, plus le conflit s’enlise au-delà du niveau 4, moins les parties sont capables de trouver des solutions viables par elles-mêmes. Elles deviennent de plus en plus tributaires d’un médiateur externe ou d’un conseiller spécialisé pour esquisser des idées de solution, trouver des méthodes permettant de travailler fructueusement sur le conflit et définir le setting pour les négociations ou les discussions. Dès que le seuil du niveau 5 est franchi, il n’est plus possible de compter sur les pouvoirs d’auto-guérison des parties au conflit. Par analogie avec les maladies de l’organisme humain, on peut dire que le «système immunitaire social» des parties n’est peut-être plus intact. Comme pour les maladies graves, la destruction des pouvoirs d’auto-guérison devient alors le principal problème.

S’agissant d’un conflit des niveaux 6, 7 ou 8 de l’escalade, la partie tierce doit être investie de certains pouvoirs, car elle devra pouvoir imposer temporairement des solutions même contre la volonté des parties et appliquer des sanctions en cas de non-respect des accords. De tels cas de figure nécessitent d’autres approches que celles de la médiation traditionnelle. Il serait irréaliste de vouloir traiter ces conflits – pour des raisons idéalistes et idéologiques – avec des interventions non directives

Niveau de l'escalade

Enchaînement/chevauchement des approches de gestion des conflits et de médiation suivant les niveaux d’escalade

Les approches présentées dans la fig. 4.2 sont données pour différents niveaux du modèle d’escalade. Des recherches empiriques menées sur ces approches ont montré qu’à mesure que l’escalade progresse, les éléments directifs (concernant l’objet du litige, le setting et la méthode choisie) doivent augmenter si l’on veut obtenir des changements efficaces.

Le chevauchement des approches indique que les champs d’application se recoupent. Selon le type de conflit, p. ex. pour un conflit de niveau 3, la modération (médiation de supervision) ou le conseil en processus (médiation de facilitation ou de transformation) sera la méthode la plus fructueuse.

Les différentes approches de la gestion des conflits avec leurs concepts de rôle sont résumées dans les modèles suivants (a) à (f). On notera que l’utilisation réussie des méthodes mentionnées est très exigeante et nécessite beaucoup de compétences et une grande expérience. Plus un conflit s’aggrave, plus il importe que sa gestion soit confiée à des experts confirmés.

a) Modération, supervision ; scrivener mediation (médiation de supervision):

Il s’agit ici plus ou moins d’un soutien « protocolaire » (présidence d’une réunion, rédaction d’un procès-verbal, etc.) par une tierce personne qui intervient de manière minimale et qui connaît très bien la communication verbale/non verbale et ses effets pervers. Par ailleurs, certaines techniques sont importantes pour l’analyse de problèmes, la créativité, la prise de décision, la modération, etc. (voir p. ex. Seifert J. “Visualising – Presenting – Moderating”, Offenbach 2001). Elles servent à stimuler la participation active des parties en conflit à la recherche de solutions.

b) Consultation processuelle, accompagnement de processus, conseil en processus ; médiation de supervision, médiation facilitative, médiation transformative:

Ces approches ne prévoient pas d’interventions trop approfondies, mais encouragent et soutiennent les parties en conflit dans le sens d’un processus de supervision afin de leur permettre de trouver par elles-mêmes des solutions à leurs problèmes. Le conseil en processus accompagne un temps les parties pour les aider à briser les anciens schémas de pensée et d’action et d’en développer et intégrer de nouveaux.
Parmi les principales méthodes actuelles, mentionnons la clarification/structuration des perceptions (cf. entre autre Blake/Shepard/Mouton: „Managing intergroup conflict in industry“, Ann Arbor, Houston 1964; ou Burton: „Conflict and communication“, London 1969).
La méthode expliquée par Besemer („Mediation“, Baden 1995), est aujourd’hui la plus utilisée dans l’espace germanophone pour la médiation facilitative ; elle combine cette dernière avec la médiation de supervision et des éléments de la médiation transformative.
Comme son nom l’indique, la médiation transformative selon Bush & Folger („The promise of mediation“, San Francisco 1994) vise à transformer les comportements et les relations moyennant un processus d’accompagnement généralement de longue durée et en profondeur.

c) Accompagnement socio-thérapeutique ou médiation thérapeutique:

Ces interventions vont profond dans le but de déconstruire des schémas relationnels et interactionnels devenus pathologiques. Elles passent par un travail sur les valeurs et les idéaux individuels et collectifs des parties en présence. Une nouvelle image de soi pourra émerger, qui servira de base pour une relation plus ouverte avec l’«ennemi» d’avant. La médiation thérapeutique fait appel aujourd’hui à des méthodes d’intervention socio-thérapeutiques, p. ex. pour défaire des schémas d’interprétation paranoïaques chez les parties au conflit. Elle peut être appliquée avec succès même dans des conflits difficiles à très difficiles.

d) Médiation conventionnelle ou classique; navette diplomatique (shuttle mediation), médiation structurée:

Cette approche correspond à la navette diplomatique classique, qui vise à atteindre un compromis entre les parties par des négociations triangulaires. Le « concept de Harvard » propose plusieurs méthodes efficaces (Fisher, Ury, Patton: „Das Harvard-Konzept“, Frankfurt/New York 1995).

e) Procédure de conciliation facultative ou obligatoire, procédure judiciaire; médiation et arbitrage (Med-arb), médiation judiciaire, celebrity mediation:

Les parties en conflit ne cherchent plus à élaborer des solutions par elles-mêmes, mais acceptent (de gré ou de force) la décision d’une tierce partie. La Med-arb combine médiation et arbitrage; cette méthode est toutefois jugée inacceptable par de nombreux praticiens de la médiation. La médiation judiciaire est elle aussi une procédure formalisée et ritualisée qui dicte des solutions aux parties au conflit. Comme son nom l’indique la celebrity mediation fait appel à des personnalités publiques très respectées (p. ex. l’ex-président américain Jimmy Carter). Forts de leur réputation, ils peuvent exercer une certaine pression morale et suggérer des solutions.

f) Intervention de pouvoir; power mediation, muscle mediation:

Soit l’utilisation de moyens coercitifs (menace, contrainte, position de force) pour imposer une solution – une méthode qui n’a en fait plus grand-chose à voir avec la médiation.

Type de conflit

1. L’amplitude du conflit:

L’approche sera différente selon que le litige porte sur des problèmes isolés (frictions), sur une lutte de pouvoir ou sur la restructuration d’une organisation (conflit de changement de système). Pour le premier type de conflit, il suffit généralement de méthodes de gestion du conflit axées sur le point litigieux, comme le concept de Harvard ou celui de De Bono (1998). Le troisième type en revanche nécessite des compétences en matière de développement organisationnel et de développement communautaire.

2. L’échelle du conflit:

Si le conflit se déroule à l’échelle micro (au sein d’un petit groupe où tous se connaissent personnellement et se côtoient), on pourra agir directement sur les perceptions des parties en conflit, leurs pensées, leurs sentiments, leur souhaits et leurs actes. En travaillant sur les relations, le conflit pourra être clarifié ou résolu de manière constructive.

S’il intervient à l’échelle méso (dans un département, une division, un secteur de l’entreprise), avec des spécifications et des contraintes structurelles multiples, travailler sur les problèmes personnels et relationnels ne suffit pas. Il faut également traiter d’aspects impersonnels et métapersonnels (p. ex. la culture organisationnelle, la structure, etc.) et de la dynamique de ces systèmes.

Pour un conflit se déroulant à l’échelle macro, autrement dit dans une société, dans un pays, entre courants politiques, etc., des approches socio-thérapeutiques ne conviennent pas: ce qui peut s’avérer utile pour résoudre un conflit familial pourrait, transposé à des systèmes politiques, tourner à la catastrophe. Si le conflit a passé le niveau 5 de l’escalade, travailler avec de telles approches sur la scène publique ne sera guère possible. à ce niveau, on en arrive au remplacement de personnes qui ont perdu leur crédibilité et à l’utilisation de stratégies de médiation classique (médiation navette ou médiation des célébrités). Cependant, comme tout macro-conflit inclut également des micro-conflits, p. ex. avec les membres d’une délégation officielle, on pourra travailler de manière socio-thérapeutique avec les personnes clés de la délégation à huis clos.

Le chevauchement des champs d’application des formes de gestion de conflits décrites plus haut dépend encore de la forme d’expression du conflit (chaud, froid).

3. L’expression du conflit:

Le conflit peut escalader de manière « froide » au chaude ». Toute une série de facteurs font que les parties se disputeront ouvertement et directement (conflit chaud) ou par-derrière et insidieusement (conflit froid).

Tendances opposées dans l’expression du conflit
Conflits chauds Conflits froids
Les belligérants s’enthousiasment pour des objectifs à atteindre. Les belligérants usent surtout de tactiques d’empêchement.
Ils veulent convaincre ou convertir l’adversaire. Ils veulent bloquer l’adversaire et le paralyser en usant d’ironie, de cynisme, de sarcasme.
Ils redoublent d’efforts, sont orientés conquête et expansion. Attaquants et attaqués détruisent la cohésion interne: c’est le début de l’érosion sociale.
On en arrive à des explosions émotionnelles : attaquants et attaqués expriment colère, joie malveillante ou triomphe. Un comportement extraverti domine. Attaquants ou attaqués, les belligérants cachent leurs émotions; les émotions ressenties se déchargent sous forme de comportements agressifs ou autodénigrants.
La dispute ouverte, la contradiction, la confrontation sont cultivées avec délectation, comme autant de joutes sportives. Les parties évitent les contacts directs et se retranchent – les zones d’évitement (et les thèmes tabous) augmentent.
Les parties passent outre les règles pour pouvoir se battre sans entraves ; actions agressives avec utilisation de violence personnelle. Les parties ne se posent pas en agresseurs, avancent règles et procédures; elles mobilisent un pouvoir systémique anonyme.
La confrontation génère un sentiment de supériorité; témérité et euphorie victorieuse conduisent à une surestimation des chances de gagner. Les sentiments de peur et d’impuissance détruisent l’estime de soi; une dépression collective anéantit tout espoir d’une résolution constructive du conflit.

Le caractère chaud ou froid du conflit à des conséquences sur la procédure. Pour le dire de manière imagée, un conflit froid doit d’abord être dégelé et réchauffé avec des mesures d’escalade, et un conflit chaud refroidi. Pour un conflit froid du niveau d’escalade 3, les parties au conflit travailleront séparément avec la médiation jusqu’à ce qu’elles aient retrouvé une estime de soi suffisante. Dans les conflits chauds, en revanche, travailler ensemble au niveau d’escalade 4 reste possible, p. ex. avec la méthode des réunions de confrontation de Beckhard (“The confrontation meeting”, New York 1969). Mais une fois le niveau 5 atteint, il est recommandé de travailler séparément avec les parties, aussi en cas de conflits chauds. Après des interventions réussies, les méthodes de traitement des conflits froids ou des conflits chauds tendront à se rapprocher. Et ce ne sont là que quelques-uns des aspects à prendre en compte.

4. Conditions-cadre pour le traitement du conflit

Dans de nombreuses situations, certaines conditions-cadre restrictives s’appliquent d’emblée. Exemple: si un couple marié décide finalement de faire appel à un médiateur pour l’aider à gérer son divorce, il serait malvenu que ce médiateur veuille sauver le mariage avec une médiation thérapeutique. Il serait tout aussi inadéquat qu’un travailleur social formé à la médiation, en charge du dossier d’aide sociale à une famille en rupture, pense devoir/pouvoir faire de la médiation familiale – une situation bien délicate car il n’en a ni les moyens financiers ni les compétences techniques et processuelles.

Les conditions-cadre peuvent aussi être telles que le recours à une médiation n’est pas possible/souhaité. Dans ces cas, on pourra au moins limiter les dégâts en usant d’autres approches, même si le potentiel de conflit n’est pas vraiment traité.

5. Conditions contextuelles

La médiation et la gestion des conflits doivent également tenir compte d’autres conditions contextuelles, notamment culturelles (religieuses), historiques, juridiques et économiques.

Quelques exemples. Dans les cultures traditionnelles d’Afrique noire, les sentences arbitrales des chefs de tribu sont très bien acceptées en tant qu’elles sont lexpression de la sagesse des anciens. Dans les pays industrialisés occidentaux, il règne une culture de négociation pragmatique, plus ouverte à la médiation classique. Dans des cultures « masculines », les médiatrices et les conseillères auront bien du mal à se faire accepter. Et dans les anciennes colonies anglaises, p. ex. le Sri Lanka, des médiateurs et conseillers anglais doivent s’attendre à de fortes réticences, alors que leurs collègues norvégiens, suisses ou autrichiens seront très bien accueillis.